Les religions peuvent-elles enseigner l'esprit critique
10/01/2015 19:03
Depuis quelques semaines, la biographie de Jérusalem de Simon Sebag Montefiore occupe ma table de chevet. Outre les faits historiques, il apparaît surtout que ce lieu des croisements de toutes les grandes religions n’a quasi jamais connu la paix et l’amour prônés par ces dernières. Les six cents pages du livre égrènent massacres, tortures, discriminations en cascade et en alternance, destructions, exterminations et j’en passe.
Déambuler dans les ruelles de la vieille ville rappelle à chaque instant l’histoire de tous ces peuples qui s’y sont croisés sans jamais vraiment parvenir à coexister pacifiquement à quelques exceptions près. Ce lieu est hautement chargé religieusement parlant. Chacun revendique la propriété et la légitimité des lieux ‘saints’.
Lors de mon dernier passage, alors que j’avais eu la chance de côtoyer juifs, arables musulmans et chrétiens, je me suis demandé ce qui pouvait attiser une telle méprise entre tous nos peuples. A part la manière de préparer le café et (à peine) quelques spécialités culinaires et habitudes locales, les préoccupations des uns et des autres sont semblables : la famille, les enfants, l’amour, la sécurité, l’argent, le travail. Pourtant, la radicalisation des opinions est palpable de tous les côtés. On se méfie de l’autre en général. Pas du voisin avec qui on s’entends généralement bien quelle que soit son origine mais LE juif, le musulman ou le chrétien symbole du grand Occident. « Le » faisant ici toute la différence.
Ce lieu hautement symbolique pour tout le monde n’a fait qu’attiser toutes les passions religieuses et la haine de l’autre a été sérieusement renforcée dans l’Histoire par la majeure partie des responsables religieux qui s’y sont succédés. A tel point que des combats et massacres se sont perpétrés dans les lieux les plus sacrés comme le Saint-Sépulcre ou le Mont du Temple (Al Aqsa) ; parfois même au sein d’une même confession entre deux mouvements divergents. La tolérance prônée par la Bible (Ancien et Nouveaux Testaments), le Coran et bien d’autres écrits n’a jamais été d’application. La lutte pour la prédominance et la suprématie est restée la règle depuis près de trois mille ans à Jérusalem. Bien avant donc l’avènement du Christianisme et de l’Islam.
Que nous apprennent donc les religions et, plus particulièrement, ceux qui revendiquent d’en détenir les vérités. L’enseignement religieux pointu semble à ce point manquer de nuances qu’il enlève tout ou partie de notre esprit critique. Or c’est bien celui-ci qui nous permet de remettre en cause les révélations et de les confronter aux réalités de la vie quotidienne. En s’approchant des textes fondateurs, il apparaît que l’essentiel de ce qui fait notre humanité s’y retrouve. Ces textes ne manquent d’ailleurs ni de nuances ni de contradictions si on veut bien les remettre dans le contexte du moment de leur rédaction. Ils nous révèlent beaucoup de choses sur notre condition humaine, nos passions et nos limites et constituent incontestablement une très belle source d’inspiration pour un questionnement en profondeur sur le sens même de notre existence. Mais l’éducation religieuse, souvent empêtrée dans des dogmes et des interprétations étroites, est-elle réellement capable de nous faire comprendre le sens des écrits qu’elle vénère. La vénération elle-même n’est-elle pas le problème ? Comment critiquer ce que l’on porte au pinacle ? Comment mettre en doute ce que l’on présente comme la foi inébranlable ? Et donc comment être nuancé sans écorner des vérités forcément réductrices ?
Bien sûr des progrès ont été réalisés dans toutes les grandes religions et je me réjouis d’entendre parfois certains de ses responsables faire preuve de nuances et de modération quant à leurs propres croyances. Il ne faut cependant pas se voiler la face, la résurgence de certaines formes de fondamentalismes prétendant détenir la seule interprétation légitime est présente dans tous les courants religieux. Les religions chrétiennes ont leur lot de créationnistes et de pseudo détenteurs de la morale, le Judaïsme est gangrénée par ses ultra-orthodoxes qui ne rêvent que de la grande Israël et de la reconstruction du Temple, l’Islam se meurt de ses intégristes.
Malraux disait que le XXIème siècle serait religieux ou ne serait pas. Mais il parlait du sens et non des dogmes. Serait-il trop demander à tous nos responsables religieux de faire un examen de conscience de l’enseignement qu’ils délivrent et d’admettre une fois pour toute que personne ne détient LA vérité ? Serait-il trop leur demander d’accepter de ne pas interférer dans la chose publique directement ou indirectement et de garder l’exercice du culte dans la sphère intime ? Serait-il imaginable d’arrêter de croire que la seule religion est détentrice de la morale sociale ? Serait-il possible de demander à toutes les confessions d’enseigner le doute, le questionnement et la critique de la vérité ?
Pascal DENHAERINCK