De l'incapacité à l'exclusion sociale
26/11/2014 16:53
Les enjeux pour l’entreprise de l’incapacité de travail de longue durée a fait couler pas mal d’encre ces derniers mois. La perspective de l’allongement à deux mois du salaire garanti n’y est pas pour rien. Il est cependant moins courant de mettre en lumière les conséquences de ce type d’incapacité pour le travailleur lui-même.
Outre évidemment les difficultés liées aux causes de l’incapacité, le retour au travail s’avère souvent un exercice assez périlleux pour un grand nombre de travailleurs. Dans la plupart des cas, l’entreprise s’est adaptée à l’absence de son collaborateur en pourvoyant temporairement à son remplacement ou en réorganisant ses processus. Il est fréquent que ce dernier ne soit plus réellement désiré à son retour.
Il faut ajouter à cela une forme de fragilisation de la personne qui n’a plus toujours la capacité d’assumer le même travail qu’auparavant. L’entreprise doit alors fournir un effort important pour la réintégrer en faisant à nouveau preuve d’adaptation.
Cela explique sans doute qu’un assez grand nombre de retours au travail aboutissent à un C4 au bout de quelques mois. Une des conséquences d’une incapacité de travail prolongée pour le travailleur est donc une perte plus ou moins grande de son employabilité au sein de son entreprise.
Un certain nombre de conditions supplémentaires peuvent même dramatiquement entacher son employabilité sur le marché du travail. Une personne de plus de 45 ans avec un niveau de qualification moyen ou faible qui aurait souffert de séquelles des causes de son incapacité risque fort de ne jamais retrouver du travail. Si elle en dépend économiquement, elle peut glisser progressivement vers une précarité grave en épuisant successivement les principaux filets de la sécurité sociale. L’Etat providence ayant rendu l’âme depuis un certain temps et n’étant de toute manière plus vraiment à l’ordre du jour, l’individu va devoir compter sur son entourage pour s’en sortir décemment. Le risque de sombrer dans l’exclusion sociale n’est donc pas mince.
A l’analyse, l’incapacité de travail est donc un enjeu de société qui touche aussi bien les politiques de santé que d’emploi. Le retour au travail après incapacité est un moment charnière qui peut, s’il est bien négocié, réguler le phénomène et en atténuer l’ampleur.
Bien sûr, l’entreprise n’est pas à proprement parlé responsable du basculement d’une personne vers le non-emploi et le processus d’exclusion. Si l’on veut s’attaquer au problème de la perte d’employabilité après incapacité et maintenir ainsi les personnes fragilisées dans le circuit du travail, il est possible de travailler à plusieurs niveaux.
L’entreprise peut mener des politiques de retour au travail dynamiques et cohérentes en travaillant le retour et le maintien au travail comme un projet RH à part entière. Sans remuer ciel et terre au sein de l’organisation, il est possible de travailler concrètement avec les ressources humaines, les syndicats, la hiérarchie, les équipes et les services externes de prévention et de protection pour oeuvrer à une réintégration plus fluide. Des approches et des projets concrets existent déjà mais nécessitent sans doute une meilleure diffusion dans nos organisations. Un accompagnement structuré peut permettre d’éviter une proportion significative de licenciements et peut donc s’avérer rentable financièrement pour l’organisation. Il est donc tout à fait possible de concilier rôle sociétal et réalités économiques de l’entreprise.
Les pouvoirs publics peuvent aussi jouer un rôle important en soutenant les initiatives prises par les entreprises qui investissent dans le retour et le maintien au travail. Il est moins coûteux de soutenir une initiative de maintien au travail que de faire retrouver du travail à quelqu’un dont l’employabilité est au plus bas. Sans tenir compte évidemment du coup humain et sociétal de sa précarisation éventuelle.
Dans notre Belgique fédérale, tant le niveau fédéral que régional sont concernés. Le soutien des initiatives des entreprises peut venir de l’Emploi et du travail, de la Santé publique et des instances de gestion de l’emploi comme le VDAB, Actiris ou le Forem. A côté de l’activation et de la mise au travail, le maintien de l’employabilité et de l’emploi peut devenir leur cheval de bataille.
Des opérateurs comme les Services Externes de Prévention et de Protection ont aussi une carte importante à jouer. Ils peuvent mettre leur expertise en matière de santé et de bien-être au travail à contribution pour proposer les approches les plus concrètes aux entreprises. En étant facilitateur des initiatives entre les partenaires sociaux et en travaillant tant avec les ressources humaines, la hiérarchie, les SIPP et les intéressés, ils peuvent contribuer à maintenir au travail des personnes qui avaient de fortes chances de revenir sur un marché de l’emploi devenu inaccessible pour elles.
L’employabilité est une clé pour lutter contre l’exclusion. Le maintien au travail est un enjeu tant économique que social. Il crée une dynamique vertueuse pour l’entreprise, le travailleur et la société. Des solutions existent. Mettons-les en œuvre.
Pascal DENHAERINCK