Médecine du travail, médecine noble
06/01/2017 18:24
Trois ans déjà que je fréquente au quotidien les médecins du travail. Je
suis toujours surpris de l'image dégagée par la médecine du travail auprès des
entreprises avec lesquelles je collabore. Le décalage par rapport à ce qu'un
directeur stratégie d'un service externe peut vivre est immense.
Quelques rares entreprises ont un partenariat étroit avec leur médecin du
travail. Celles-là ont compris que sa valeur ajoutée réside dans son expertise
au croisement entre la santé du travailleur, la gestion dynamique des risques
propres à l'entreprise et la compréhension du fonctionnement et de la culture
de l'entreprise. La consultation médicale garde tout son sens dans ces
entreprises dans la mesure où elle préserve sa fonction de dépistage et où elle
alimente la réflexion de l'entreprise sur sa capacité à générer du bien-être et
du mal-être. Le médecin du travail est une cheville ouvrière de cette
réflexion, orientant vers d'autres professionnels des missions plus pointues en
hygiène, sécurité, ergonomie, aspects psychosociaux et ressources humaines. Le
médecin du travail a une ligne directe avec le conseiller en prévention de
l'entreprise, le responsable HSE ou QHSE, les ressources humaines et, si
l'entreprise a vraiment tout compris, le CEO.
S'il n'est pas si courant, ce modèle existe bel et bien pour le voir vivre
moi-même dans plusieurs entreprises. Il donne du sens à l'intervention du
médecin du travail et décuple son impact sur la santé des travailleurs et donc
sur la santé de l'entreprise.
Que l'on ne se méprenne pas. Je ne veux pas dire que la plupart des
entreprises ne sont pas capables d'utiliser adéquatement leur médecin du
travail. Les contraintes qui pèsent à l'heure actuelle sur tout le secteur de
la médecine préventive empêchent souvent de favoriser le modèle de
collaboration décrit ci-dessus.
La pénurie de médecins du travail n'est plus une hypothèse. Le nombre de
médecins ne cessent de décroître et les perspectives ne sont pas réjouissantes.
La réponse à cette pénurie qui consiste à réduire la périodicité des examens
n'est pas une solution dans la mesure où elle ne bénéficie ni aux travailleurs,
ni à l'entreprise. Au contraire, elle fait entrer le métier dans une
logique de déconnexion du médecin des réalités vécues par le personnel.
La délégation des examens à d'autres professionnels comme les infirmières en
santé au travail, voire les conseillers en prévention pour les aspects
psychosociaux ne devrait quant à elle pas intervenir en remplacement des
examens médicaux mais en réponse à des besoins spécifiques comme la prévention
du stress et du burn-out, d'éducation à la santé au travail ou de soutien
socio-psychologique.
Les actions proposées à l'heure actuelle pour faire face à la pénurie ont
plutôt tendance à appauvrir l'intervention du médecin du travail en entreprise
et, par conséquent, à décourager les vocations. Elles nous font donc
entrer dans un cercle vicieux où les solutions créent le problème.
De nombreuses entreprises qui aimeraient travailler avec leur médecin du
travail comme un véritable partenaire se retrouvent donc souvent face à un
professionnel débordé, peu disponible, parfois découragé.
Qu'y a-t-il pourtant de plus noble qu'une médecine axée sur la prévention,
au plus près des réalités de ses bénéficiaires et dont l'utilité collective est
indéniable ? Comment une médecine noble peut-elle progressivement faire
fuir ses candidats les plus zélés ?
Les missions de santé publique prises en charge par les médecins du travail
ne devraient-elle pas être financées par les pouvoirs publics ? L'entreprise
elle-même ne peut-elle pas envisager son financement de "sa" médecine
du travail en dehors du simple financement légal ? Les services externes de
prévention et de protection ne peuvent-il pas redonner goût aux vocations en
enrichissant le travail de leurs médecins ?
Un travail collectif pour redonner ses lettres de noblesse à un métier riche
de sens.